Laurent T. Jeu 13 Mar - 16:02
Caramel (2007 - Nadine Labaki)
Nadine Labaki filme une sorte de Venus Beauté version orientale dans laquelle la vie des deux communautés Libanaises (chrétiennes et musulmanes) s'entrechoquent à travers un épisode de vie d'un salon de coiffure.
Le but initial de Madame Labaki était plus que louable : parler de la condition de la femme et de son émancipation dans un pays moderne qui est trop étouffé par les problèmes religieux (la scène de l'arrestation du mari de Nisrine en est un exemple). Avec sa mise en scène sobre et des situations ne versant jamais dans la vulgarité crasse, Caramel se révèle être une grosse déception !
En effet, on peut reprocher à la réalisatrice de ne pas mettre tout son cœur et de ne pas oser aller plus loin dans les sujets qui fâchent. Par exemple, l'illustration de l'attirance de Rima envers les femmes est beaucoup trop sage, on attend qu'elle échange un baiser passionné avec sa cliente, mais ce dernier n'arrive jamais.
Le second reproche que l'on peut faire à Nadine Labaki est celui de rentrer dans certains clichés éculés : la jeune mariée qui n'est plus vierge ou le vieux gentleman dragueur. Plutôt que de déchirer les tabous, Labaki les renforce encore plus, créant ainsi une confusion dans le récit qui déstructure complètement l'histoire.
Souvent mièvre (toutes les employées du salon attendent le prince charmant) et réalisé avec des pincettes pour éviter les problèmes avec la censure, le long-métrage de Nadine Labaki est sauvé du naufrage grâce à ses vingt dernières minutes d'un intérêt assez quelconque mais ponctué de jolies scènes, comme celle de Rose de démaquillant en larmes, refusant d'aller au rendez-vous donné par son nouvel amour. Ce superbe plan-séquence montre que le grand amour n'est pas finalement celui que l'on croit et que l'âge empêche les choses de fonctionner.
Malheureusement, c'est tout ce que l'on pourra retenir de cette grosse déception, portée aux nues lors de sortie en salles.
Comble de l'histoire, Nadine Labaki est bourrée de talent, mais son Caramel est trop mou, laissant un arrière-goût amer dans la bouche.
Phantom of the Paradise (1974 - Brian De Palma)
A ses débuts, Brian de Palma était au sommet de son art. Personne n'avait imaginé qu'il irait encore plus loin avec Phantom of the Paradise, considéré aujourd'hui comme son grand chef-d'œuvre et il y a de quoi !
Fabuleux mélange d'opéra-rock, de comédie et de fantastique, l'œuvre de De Palma est basé sur Faust et Le Fantôme de l'Opéra, allant encore plus loin avec son sens du baroque déjanté et une musique renforçant la dramaturgie du récit.
Les deux personnages principaux ont deux personnalités opposées : Swan est un ancien musicien reconverti en producteur assoiffé de pouvoir alors que Winslow Leach est un compositeur de génie malheureusement naïf. Sa naïveté le conduira en prison, mais aussi et surtout au vol pur et simple de son œuvre par Swan, qui laisse le jeune génie défiguré pour mort, sans penser qu'il est capable d'exercer une terrible vengeance...
De Palma pose un regard dénonciateur sur le milieu du rock, critiquant ses dérives et abus (les femmes doivent coucher pour voir leur avenir assuré ou se voient mises sur le carreau au profit d'un rockeur exubérant qui gueule plus qu'il ne chante) tout en y insérant une bonne dose d'humour, allant parfois jusqu'à provoquer l'hilarité chez le spectateur (l'excellente scène de la douche, énorme clin d'œil à Hitchcock, est anthologique !).
Ne voulant pas s'arrêter là, De Palma va encore plus loin dans l'originalité dans les prestation de chaque acteur. Paul Williams, responsable de la bande-original du film, incarne un Swan démoniaque mais humain, proche de la schizophrénie en raison de son comportement inquiétant. William Finley trouve ici le rôle de sa vie et passe de l'homme amoureux en un être vengeur sans pitié, bien décidé à faire chanter son œuvre par Phoenix, la seule chanteuse capable de le faire. Avant d'aller faire un tour chez Argento deux ans plus tard, Jessica Harper nous transporte par sa voix sublime et son visage d'ange.
Il serait scandaleux d'oublier Gerrit Graham, tout simplement génial dans le rôle de Biff, fausse diva du rock qui casse les oreilles du public venu au Paradise en massacrant les chansons de Leach.
La bande originale regorge de mélodies splendides, allant même jusqu'à parodier les genres qui étaient en vogue à certaines époques (ici, le rock "yé-yé" avec les Juicy Fruits), mais en surprenant le public par ses chansons rock d'une originalité et d'une splendeur qu'aucune autre comédie musicale a pu offrir jusqu'à présent. La scène de l'ouverture du Paradise a d'ailleurs inspiré le groupe Kiss, qui n'a jamais hésité à critiquer le film en affirmant que Paul Williams les a plagiés !!!
Alors qu'on approche tout doucement de la fin du film, le meilleur nous attend. Dans un décor dans lequel brille des couleurs éclatantes et évolue un public hystérique, Brian De Palma filme ce final avec un génie sans précédent, utilisant sa technique exceptionnelle pour une expérience visuelle et sensitive merveilleuse, mélangeant le comique et le tragique avec beaucoup d'intelligence.
Encore aujourd'hui, Phantom of the Paradise est plus que jamais d'actualité, tant sa dénonciation des dérives de la célébrité et sa critique du show-business en général est autant acerbe qu'avant-gardiste, doublée d'une mise en scène parfaite, tenant parfois du miracle cinématographique.